A Fos, l’incendie de l’incinérateur a relâché des dioxines - mais motus !

Marie-Paule Nougaret (Reporterre)

mardi 5 novembre 2013

Un important incendie a ravagé l’incinérateur de Fos durant le week-end. Aucun problème de santé, affirme la préfecture, qui ne répond cependant pas aux questions. L’incendie a très vraisemblablement relâché un panache de dioxines. Il pourrait en tout cas relancer la questions de la gestion des déchets à Marseille.

 Correspondance, Montpellier

On l’appelle "l’incinérateur", à cause des polémiques qui ont précédé sa construction, mais il s’agit en fait d’un énorme complexe avec gare de triage, situé à Fos, dans les Bouches-du-Rhône, pile devant la mer. Là, depuis 2011, arrivent tous les jours des dizaines de wagons contenant mille tonnes d’ordures non triées, la poubelle résiduelle comme on dit, d’un million d’habitants de dix-huit communes, dont Marseille : un kg pour chacun d’entre eux. Comme tous ses pareils, le four récent porte un nom élaboré par un service de marketing, Everé. Everé se distingue, nous apprend Internet : en plus de brûler les déchets et de les trier pour recycler les métaux et plastiques, on y fermentait les reliefs de cuisine, pour produire du biogaz et du compost.

Dans la nuit de vendredi 1er novembre à samedi, Everé a flambé, et selon la Dreal (Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement), autrement dit la Préfecture, le feu couvait encore, dans deux fosses, dimanche soir. Impossible d’en savoir plus de ce côté. Aucun journaliste n’a pu visiter le site ni le photographier : la direction passe son temps en Préfecture et l’ouvrière qui répond au standard, lundi soir, constate seulement que les pompiers sont encore là.

Il s’agit de pompiers marins, en principe bien équipés face aux feux chimiques. Le préfet a demandé à l’agence locale Air PACA, de surveiller les polluants atmosphériques à proximité du site : dioxyde d’azote, dioxyde de soufre, ozone et particules PM 10 (voir encadré ci-dessous). L’agence n’a constaté aucune augmentation ; et le préfet de s’en féliciter pour les riverains. Pas un mot sur les dioxines, ni les métaux toxiques. Mais la volonté de surveiller les sédiments marins et les moules qui filtrent l’eau pour se nourrir, en retenant les corpuscules, laisse penser que le souci existe, bien qu’on n’en dise rien. Jusqu’à présent le vent a soufflé vers la mer (mistral) et un peu vers la Crau.

Reporterre a voulu en savoir plus. Nous avons été dans l’impossibilité de poser des questions sur les pollutions causées par l’incendie : sur six attaché-e-s de presse contacté-e-s (Dreal, préfecture de région, préfecture des Bouches-du-Rhône), deux seulement ont répondu, et pour botter en touche.

Selon Joël Raffin, directeur des services techniques de la Communauté urbaine de Marseille, qui possède l’installation, "la partie méthanisation, qui est détruite, ne fonctionnera plus. Cependant les fours restent opérationnels, quoiqu’arrêtés par précaution, au moins quinze jours". Quant aux fosses en combustion lente, il s’agirait de celles des déchets en bout du processus, prêts pour l’incinération. Celle-ci devrait reprendre donc, avec ce qu’il en restera. Par la suite, l’incinérateur, orphelin d’une partie des systèmes de tri, risque fort d’avaler le tout venant des détritus, comme les modèles d’antan.

"Enormément de dioxines"

En attendant cet incendie émet-il des dioxines ? Maurice Sarazin, répond : "Enormément. A cause du sel de cuisine des déchets, mis à fermenter, qui ont flambé". Cet ingénieur préside l’Appel , en lutte de longue date contre l’incinérateur de Lunel Viel, dans l’Hérault. Le sel, chlorure de sodium, rappelle-t-il, contient du chlore, la matière de base des dioxines qui se forment à partir de 400 °C. Les incinérateurs les détruisent à 1000 ° C. A Fos, l’incendie est un feu incontrôlé, sans four à haute température, ni filtre pour les fumées. Jusqu’ici, le vent a soufflé vers la mer (mistral), mais aussi vers la Crau.

Comme tout composé chloré, les dioxines s’accumulent dans les graisses, en se concentrant, le long de la chaine alimentaire. L’une d’entre elles est le produit le plus cancérigène connu, agissant au pico gramme (milliardième de gramme), surtout pour certains profils génétiques, et le risque est avéré, autour des incinérateurs anciens.

On ne sait pas ce qui a déclenché le feu à Fos. Ce pourrait être un arrêt de ventilation et l’accumulation de méthane, ou le frottement trop poussé sur des tapis roulants en caoutchouc, hautement inflammables, du fait d’une panne mécanique, estime M Sarazin. Quoi qu’il en soit, les ordures en vrac n’arrivent jamais intactes, aucun système automatique ne saurait les trier parfaitement. Elles subissent une première transformation acide dans la poubelle des particuliers. Les fragments d’aliments en contact avec des métaux y forment alors des sels indestructibles : d’où les problèmes de normes que rencontrent les compost de méthanisation, à la sortie. Nombre d’agriculteurs les refusent. Et les mêmes métaux contaminent les fumées de l’incendie.

Cet accident industriel pourrait permettre de reposer la question de la gestion des déchets. Reporterre renvoyait dès samedi vers l’analyse d’Objectif Transition : l’association pense que ce sera l’occasion de réfléchir sur la réduction des déchets et leur tri efficace, avant les élections municipales du printemps. Quant à François-Michel Lambert, seul député EELV (Europe écologie les Verts) de la région, il lance un flamboyant "Incinérons l’incinérateur !".

L’air marseillais

L’air de Marseille passe pour l’un des plus pollués d’Europe, du fait de sa situation et de ses activités.

Les polluants qu’on y mesure, sont :
 le dioxyde de soufre, SO2, qui vient du pétrole, se fait rare sur les routes, car l’Union Européenne limite le soufre à 0,05 % du gasoil. Mais les navires qui fréquentent le port peuvent brûler du lourd, soufré à 5%, soit cent fois plus. Enfin certaines raffineries de Berre, qui l’extraient des carburants, en émettent aussi. Se conjuguant avec la vapeur d’eau présente dans l’air, le SO2 donne des pluies d’acide sulfurique (vitriol), nocif entre autres pour les poumons.
 le dioxyde d’azote, NO2, vient de l’azote de l’air dans les combustions mal réglées, qu’il s’agisse de scooters, de chauffe-eaux, de camions ou de cargos. Avec l’eau il donne des pluies d’acide nitrique. Et à la grande lumière, souvent présente à Marseille, il permet la formation d’ozone.
 L’ozone, O3, se forme à partir de l’oxygène, par cuisson à la lumière du NO2 et des vapeurs d’essence, solvants etc. Ce gaz inodore, très oxydant, est cause de maladie cardio-vasculaire et de cancers)
 Les PM 10 sont les particules d’un diamètre inférieur à moins de 10 microns (un micron mesure un millionnième de mètre).

Source : Marie-Paule Nougaret pour Reporterre.

Photo :
. liberation.fr.
. carte : leparisien.fr


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