Paru dans La Tribune | 30/10/2015, 11:00 | 741 mots
[ #COP21] Incinérateurs, tri mécano-biologique, mégadécharges... toutes ces fausses solutions du passé doivent-elles encore avoir un avenir, alors que la solution alternative zéro déchet offre un horizon bien plus désirable ?
Par Flore Berlingen, Zero Waste France.
Début octobre 2015, les trois sites d’enfouissement de l’Île de Beauté étaient bloqués. Les habitants d’Ajaccio étaient appelés à garder leurs déchets chez eux. Par manque d’anticipation et d’ambition dans les politiques de prévention et de tri, on a laissé se développer en Corse une situation de crise.
La Corse devrait s’inspirer de ce que font ses voisins
Certains ne manqueront pas de venir proposer leurs solutions miracles, de l’incinération au tri mécano-biologique, ce procédé qui prétend séparer les déchets organiques des couches pour bébé, produits d’hygiène et autres berlingots de javel avec lesquels ils sont mélangés, pour en faire du compost.
Au contraire, la Corse serait bien avisée de se tourner vers la Sardaigne et ses voisins italiens.
Les crises à répétition ont en effet poussé certains territoires à prendre le taureau par les cornes, avec succès ! En mettant en place des démarches zéro déchet, fondées sur un changement de paradigme favorisant la réduction à la source et la collecte séparée des biodéchets, certaines villes et provinces obtiennent aujourd’hui des résultats sans précédent.
À Trévise, ce ne sont plus que 53 kg d’ordures ménagères résiduelles par an et par habitant qui sont collectés (bien loin de nos 300 kg de moyenne nationale). En Sardaigne, le taux de recyclage est de plus de 50% en moyenne, atteignant même 77% dans des villes engagées dans une démarche zéro déchet comme Oristano.
L’incinérateur d’Ivry-sur-Seine, exemple même de la fuite en avant
Si la Corse peut encore aujourd’hui faire le bon choix et transformer la crise en levier pour devenir l’exemple inspirant de demain, d’autres territoires s’engagent clairement dans la mauvaise direction.
C’est le cas de la région parisienne, où le syndicat de traitement des déchets porte un projet de reconstruction de l’incinérateur d’Ivry-Paris 13, qui a longtemps été le plus grand d’Europe.
Pour un coût total de 2 milliards d’euros, ce nouvel incinérateur brûlerait 350.000 tonnes de déchets par an, durant les quarante prochaines années. Sur ce territoire, les marges de progrès sont pourtant énormes : 42% du contenu des poubelles d’ordures résiduelles sont des déchets recyclables qui ne devraient pas s’y trouver, et 30% des déchets organiques pourraient être compostés.
Par son coût, le projet de reconstruction de l’incinérateur hypothèque les possibilités de développement de démarches zéro déchet, et les bénéfices climatiques qui en découleraient. Les grandes installations de traitement réclament en effet un apport constant de déchets pour être rentabilisées, concurrençant directement les efforts de prévention et de tri qui permettent une réduction des émissions de gaz à effet de serre.
Le cas n’est pas isolé... D’Echillais à Troyes, de Borderes-sur-Echez à Talonne, des dizaines de "petits Ivry" fleurissent un peu partout sur le territoire. Pourquoi ?
Contraste entre l’impuissance des politiques et l’activisme des citoyens
C’est à n’y rien comprendre, car, en France, le zéro déchet fait des émules. Ces deux mots sont sur toutes les lèvres, sur tous les supports de communication, et on ne compte plus les dossiers ou reportages sur le "miracle de San Francisco".
Notre politique de gestion des déchets est frappée d’une certaine schizophrénie : les discours visionnaires se heurtent à un cruel manque d’ambition dans l’action. Ainsi, alors que les alternatives existent et ont prouvé leur succès, certains préfèrent s’accrocher à l’idée rétrograde d’une politique de gestion des déchets qui consiste à tenter de les faire disparaître (de notre vue seulement) le plus rapidement possible.
Le tri est le premier des écogestes, la gestion des déchets interpelle, car elle touche au quotidien. Les alternatives fleurissent sur le terrain : elles prennent la forme de projets associatifs ou entrepreneuriaux, elles créent des emplois, renforcent le secteur de l’économie sociale et solidaire, réinventent des activités comme la vente en vrac ou la consigne.
Ces initiatives, et les expériences des pionniers européens du zéro déchet servent de terreau et de matière pour la construction de propositions complètes de politiques publiques, à l’instar du Plan B’OM "voté" par des centaines de citoyens et associations en région parisienne.
Qu’attendent les institutions gouvernementales pour suivre ce mouvement citoyen ?