Le Dr Philippe RICHARD, pneumologue, est administrateur du Réseau Environnement Santé (RES) et Président de l’Association pour la Protection de la Santé des Habitants de Saint-Omer, Pas-de-Calais (APSH Saint-Omer)
Dans cette fiche de synthèse, le Dr Richard pose 6 questions incontournables au sujet de l’incinération des déchets :
1) Quelle est la situation sanitaire dans notre région ?
Les Hauts-de-France ont le plus mauvais état de santé de France (Observatoire Régional de Santé, rapport de l’agence sanitaire Santé publique France) avec une surmortalité par cancers inacceptable.
Exemples : surmortalité par cancers dans la région de 29%, surmortalité précoce par cancer dans la région de 37,3%, surmortalité par cancer du sein à St Omer : 63,6%.
Au-delà des chiffres, c’est malheureusement le constat quotidien des professionnels de santé.
Cette population fragilisée devrait donc bénéficier d’une protection sanitaire renforcée.
Dans le Nord / Pas de Calais, elle est pourtant actuellement exposée au panache d’une dizaine d’incinérateurs (sur les 130 existant en France qui est malheureusement le premier pays d’Europe dans ce domaine).
2) Qu’est-ce qu’un incinérateur dit de dernière génération, appliquant les « meilleures techniques disponibles » (MTD) ?
Les incinérateurs de dernière génération diffèrent des anciens par une pollution mesurée moindre sur seulement quelques dizaines de polluants parmi les très nombreux toxiques émis.
Les MTD ne signifient en rien l’absence de pollution ; elles permettent seulement de respecter les normes imposées pour cette minorité de polluants. Ces normes sont « des normes techniques », de « faisabilité » et non des normes sanitaires.
Elles n’intègrent pas les effets cocktail (plusieurs molécules inoffensives, lorsqu’elles sont associées peuvent devenir très toxiques). De ce fait, le concept d’évaluation des risques sanitaires par la mesure d’un traceur estimé le plus toxique est très artificiel et n’est pas réaliste.
Les normes techniques ne tiennent pas compte des fenêtres d’exposition (personnes les plus vulnérables : femmes enceintes, enfants, personnes âgées).
Elles oublient que la dose ne fait pas toujours le poison : une exposition chronique à de petites doses de certains polluants peut être très toxique. Les perturbateurs endocriniens (tels que la dioxine) répondent à ce nouveau paradigme.
Enfin, un incinérateur récent dit « propre », dit « de dernière génération » délivre malgré tout des quantités importantes de polluants (PJ1).
De surcroit, ce tableau (PJ1) ne tient compte que des quelques dizaines de molécules surveillées. Les centaines d’autres ne sont ni mesurées ni évaluées.
3) Quelle surveillance et quels contrôles des incinérateurs ?
Il est régulièrement publié qu’une cigarette émet plus de 4000 substances dont 2500 produits chimiques dont 50 sont cancérigènes (nicorette.fr).
Or, un incinérateur ne brûle pas que du tabac…, loin s’en faut !
Seulement quelques dizaines de polluants sont surveillés.
A titre d’exemple, un groupe d’expert de l’O.M.S. souligne que : “l’émission de particules ultrafines et de nanoparticules devrait être étudiée » (BEH février 2009 sur la pollution particulaire).
Dans le nord, 6500 morts prématurées sont liés aux particules fines (OMS : conférence de Genève 2018).
La grande étude épidémiologique de l’INVS ne permet par ailleurs pas d’identifier la ou les molécules responsables de l’excès de risque de cancers autour des incinérateurs (paragraphe 4 ci-après).
La population ne peut donc plus accepter les « paroles rassurantes » régulièrement émises par les Comités de Surveillance de Site.
Elle comprend mal une gestion des déchets aussi polluante alors qu’elle est bien consciente des enjeux environnementaux actuels.
4) Quels sont les risques sanitaires liés à l’incinération des déchets ?
La plus grosse étude épidémiologique (2,5 millions d’habitants suivis sur 10 ans) a été réalisée par l’INVS qui a publié ses premiers résultats en 2006 mettant en évidence « un lien statistique significatif entre le niveau d’exposition aux incinérateurs des années 1972 à 1985 et l’augmentation de la fréquence de certains cancers au cours des années 1990-1999 ». Le paragraphe 2 de cette fiche de synthèse permet parfaitement de corroborer les risques passés « aux incinérateurs des années 1972 à 1985 » aux risques actuels des incinérateurs de dernière génération.
Le tableau (PJ2) montre que les excès de risques de cancer étaient plus importants dans l’évaluation de 2008 qu’en 2006.
L’INVS précise que « les résultats de cette étude apparaissent encore sous-estimer les risques, compte tenu des courtes périodes de latence choisies, entre exposition et apparition d’un cancer (5 ans pour les leucémies et 10 ans pour les autres cancers).
Cette précision, soulignée par l’InVS dans son rapport, laisse craindre que le pic d’apparition de cancers n’était pas atteint en 2008.
Quels seraient les résultats actuels si ceux-ci étaient publiés ?
Pourquoi de nouvelles pathologies sont-elles apparues entre 2006 et 2008 ?
Pourquoi les résultats sur les leucémies figurant dans l’étude n’ont pas été publiés ?
Pourquoi ne pas avoir poursuivi le suivi de ces populations en raison des latences ?
D’autres études sur de plus petits effectifs de population confirment ce lien entre incinération et cancers (ex : Pr JF Viel)
Beaucoup d’autres pathologies n’ont pas été étudiées de façon spécifique autour des incinérateurs mais les effets sanitaires des nombreux polluants sont bien connus (respiratoires, cardiovasculaires, neurologiques, néphrotoxiques, hématotoxiques malformatifs…).
C’est dans cet esprit que dès 2008 l’APSH a joué son rôle de lanceur d’alerte et continue de le faire.
5) Ces risques sont-ils évitables ? y a-t-il des alternatives ?
La France a beaucoup de progrès à faire dans le domaine du recyclage (PJ3)
Nous ne respectons pas la hiérarchie de traitement des déchets (directive cadre européenne 2008/98/CE) et en particulier beaucoup de bio déchets sont encore incinérés (quel est l’intérêt de brûler des végétaux qui contiennent 80 à 95% d’eau, alors qu’ils pourraient se transformer en compost et permettre de produire du méthane ?).
Sans même évoquer les performances réalisées en Californie avec une production d’1Kg/an/habitant(hab) d’OMR (Ordures Ménagères Résiduelles), des exemples vertueux existent en France.
En communauté de commune d’Alsace (Dany Dietmann), les habitants produisent 4 fois moins de déchets (83Kg/an/hab#360Kg/an/hab au niveau national) pour un coût près de deux fois moindre (52€/an/hab#93€/an/hab au niveau national). Pour mémoire la tonne d’OMR incinérée dépasse les 100€.
D’autres communes sont en voie d’obtenir ces résultats et en particulier, pour notre région, à Roubaix permettant ainsi de redistribuer du pouvoir d’achat à la population.
6) Même avec un rendement énergétique élevé, l’incinération est-elle « écoresponsable » ?
Les incinérateurs brûlent des matières premières.
La population mondiale épuise les ressources de la planète de plus en plus tôt dans l’année (autour du 1er août pour 2018, le 29 juillet en 2019…).
Il est donc urgent de réemployer et recycler les matières premières qui ne sont pas inépuisables et dans les réserves desquelles nous puisons du 1er aout au 31 décembre…
Brûler les déchets ne fait que réduire le volume des déchets
Après incinération il reste environ 35% du tonnage d’OMR brûlées en déchets toxiques, voire très toxiques (refiom et cendres : PJ1)
Emission de gaz à effets de serre
Les incinérateurs émettent CO2 (environ une tonne par tonne de déchet brûlée), ozone et brome.
7) En conclusion
Incinérer nos déchets, c’est :
- Investir des sommes colossales (100 millions d’euros pour Flamoval à Arques)
- Brûler des matières premières (donc de l’argent),
- Brûler inutilement d’autres matières : de l’eau (biodéchets), des métaux (PJ1)
- Épuiser la planète
- Aggraver la santé des habitants
- Dégrader notre environnement
- Empêcher la création de centaines d’emplois (un incinérateur crée seulement quelques dizaines d’emplois…) dans les filières de recyclage.
8) Demande de la population
Les incinérateurs déjà trop nombreux demandent régulièrement de surcroit des autorisations d’augmentation du tonnage à incinérer (Flamoval à Arques, Douchy les Mines…).
Cette situation est inadmissible et il est temps que l’état bloque ce type de projet et encourage beaucoup plus fortement qu’il ne le fait les décideurs politiques à développer les alternatives existantes.
Un collectif de nombreuses associations a encore rappelé tout récemment cette nécessité.