25 octobre 2016 / Des élus parisiens
La commune d’Ivry-sur-Seine vient de s’opposer à la reconstruction de l’incinérateur qu’elle accueille. Les auteurs de cette tribune souhaitent que la ville de Paris en fasse autant, car ce projet d’incinérateur est incohérent avec la trajectoire Zéro déchet que veut suivre Paris.
Les signataires de cette tribune : Jacques Boutault, maire du 2e arrondissement de Paris, Antoinette Guhl, adjointe à la maire de Paris chargée de l’Économie sociale et solidaire, de l’Innovation sociale et de l’Économie circulaire, Florentin Letissier, adjoint à la maire du 14e arrondissement chargé de l’Environnement, Sylvie Lekin, adjointe à la maire du 14e arrondissement chargée de la Propreté, avec Laurent Bussière.
Un nouveau grand projet inutile aux portes de Paris ? Les travaux de reconstruction de l’incinérateur d’Ivry pourraient bien intégrer la longue liste des chantiers d’un autre temps, poussés par de puissants lobbys. Vieux de plus de dix ans, ce projet souffre du syndrome Notre-Dame-des-Landes : les temps ont changé, mais on persiste dans l’épure initiale.
Le nouvel incinérateur d’Ivry-Paris 13, dont la première tranche de travaux doit être votée fin novembre par le conseil syndical du Syctom [« Agence métropolitaine des déchets ménagers »-NDLR], est surdimensionné. Configuré pour incinérer 350.000 tonnes de déchets par an, le projet de reconstruction ne tient pas compte des politiques de réduction et de recyclage que mènent la plupart des communes du bassin versant, en particulier Paris. Et ce, malgré le rapport de la Cour régionale des comptes qui titrait, le 4 octobre dernier, sur « l’échec d’une politique de traitement alternative à l’incinération », et à l’absence d’atteinte des objectifs de recyclage et revalorisation fixés par les lois Grenelle. Ainsi, les taux de collecte sélective ont été largement en-dessous des objectifs fixés : 30 kg au lieu de 50, et aucun progrès n’a été enregistré depuis 2005.
Une gabegie pour le contribuable de 2 milliards d’euros
C’est bien l’enjeu de la transition qui se pose à nous : celle d’une transition douce vers une économie plus respectueuse des humains et de la planète, créatrice de richesses nouvelles issues de nos déchets, et de création d’emplois durables. Rappelons que l’adoption d’une politique d’économie circulaire, c’est la création de 50.000 emplois dans la seule Ile-de-France. Or, la ville de Paris a fait de l’économie circulaire l’une des pierres angulaires de sa politique de mandature : notamment grâce au travail de conviction des écologistes, cette politique se concrétise sur le terrain avec la création de recycleries-ressourceries dans chaque quartier, le déploiement du compostage de proximité, l’implantation de bornes Trilib’ sur la voie publique pour encourager le tri, la collecte des déchets alimentaires de cuisines des particuliers en porte-à-porte (expérimenté dans les 2e et 12e arrondissements)… autant d’initiatives qui rendent obsolète ce méga-incinérateur. Paradoxe : l’exécutif parisien soutient le projet du Syctom. Ce faisant, il jette un doute sur la réussite de sa propre politique. Les élu-es représentant Paris redoutent ainsi un « sous-dimensionnement qui pourrait nous conduire à terme à avoir recours à l’incinération privée ».
Or, la reconstruction de l’incinérateur d’Ivry Paris 13 constitue aussi une double peine pour les citoyen-nes. D’abord parce qu’il s’agit d’une gabegie pour le contribuable : 2 milliards d’euros seront ainsi investis dans la reconstruction de cette hyperusine, alors même que les investissements dans la prévention des déchets ont montré leur efficacité : pour chaque euro investi ces six dernières années, ce sont 13 euros d’économies qu’a pu réaliser la ville de Paris. C’est bien l’idée du Collectif porteur du plan B’OM (comme plan baisse des ordures ménagères) qui défend qu’avec quelques dizaines de millions d’euros, il est possible de développer une politique d’économie circulaire plus efficace, moins nocive, et plus en phase avec les aspirations des citoyen-nes.
L’incinération est nocive pour la santé des êtres humains et de la planète
Mais également parce que les incinérateurs posent une problématique de santé environnementale : en 2008, l’Institut de veille sanitaire constatait qu’autour des usines d’incinération ayant fonctionné dans les années 1980 et 1990, les taux de cancer dépassaient de 7 à 23 % les valeurs de référence. Les nouvelles technologies utilisées dans les incinérateurs, filtrage humide des fumées notamment, répondent à ces problématiques sanitaires. Mais en partie seulement. Ainsi, les systèmes de captage des polluants des incinérateurs sont efficaces lorsque l’incinérateur tourne. Mais en période de chauffe ou de refroidissement, ce sont des PCB (polychlorobiphényles), des dioxines et des furanes qui sont rejetés dans l’atmosphère. Ces substances toxiques sont à l’origine de cancers, d’une baisse du système immunitaire, d’une perturbation du système endocrinien, de troubles du développement psychomoteur du jeune enfant et de troubles de la reproduction. Elles présentent un fort potentiel d’accumulation dans les sols, les sédiments, les tissus organiques, se fixent dans les graisses des animaux que l’on retrouve ainsi, en bout de chaîne, dans le corps humain. Quant au PVC, plastique brûlé dans nos incinérateurs, il libère du mercure particulièrement nocif pour notre environnement. Ces substances sont présentes à la fois dans les fumées de l’incinération, celles qui font l’objet d’un traitement dit humide, et se retrouvent ainsi dans le réseau des eaux usées et dans les résidus solides de l’incinération, récupérés à la base du four de combustion, qui sont quant à eux disséminés sur le territoire, parfois réutilisés. Aucune réglementation contraignante n’existe à ce jour à leur égard.
À l’heure des scandales autour des filtres à particules, et alors que la politique zéro diesel déployée sur le territoire parisien reçoit le soutien des écologistes, il convient d’être informé-es de la nocivité de l’incinération pour la santé des êtres humains et de la planète.
La loi pour la transition énergétique nous incite à préférer d’autres solutions à la reconstruction de cet incinérateur ; pourtant, Paris n’a pas su élever la voix pour promouvoir une solution alternative. La crise climatique, la pollution de l’air et les dangers du consumérisme sont devenus des évidences dont les politiques publiques, pour être cohérentes, doivent tenir compte.