Paris, reportage _ 2 juillet 2016 / Marc Sautelet (Reporterre)
Une société sans déchet ne relève plus de l’utopie. En France, des collectivités lancent des projets pilotes, aiguillonnées par des citoyens investis, les réussites à l’étranger et les économies réalisées. Signe de l’engouement pour cette démarche, le premier festival Zero Waste à Paris, du 30 juin au 2 juillet 2016.
« Le Zero Waste, cela crée de l’emploi, rapporte de l’argent aux collectivités : je vois plein de bonnes nouvelles. On devrait se réjouir. » Les mots sont de Robert Reed, porte-parole de la coopérative Recology, à l’origine de la réussite de la ville San Francisco, en passe d’atteindre son objectif de zéro déchet à l’horizon 2020.
Invité vedette du premier festival Zero Waste, au Cabaret sauvage, à Paris, il a partagé la scène jeudi 30 juin avec d’autres représentants de collectivités d’Europe et de France qui font figure de pionnières en matière de gestion des déchets : Parme, Capannori ou encore Roubaix. Leurs expériences démontrent qu’en quelques années, il est possible de réduire les déchets résiduels à 50 kg par an et par habitant à l’échelle d’une commune ou d’un territoire. À titre de comparaison, un Français produit encore 390 kilos par année de déchets résiduels ou assimilés.
Face au constat de nos poubelles qui débordent, quelques précurseurs s’étaient déjà lancés le pari, à titre individuel, de faire le vide (ordures) dans leur vie. Colin Bevan avait enfilé son costume de super-héros, en tant que No Impact Man, et la franco-américaine Bea Johnson est devenue en quelques années la référence en la matière en limitant sa production à un bocal de 500 ml par an pour une famille de quatre. D’abord vue comme une extraterrestre, elle donne des conférences qui se font désormais à guichets fermés et ont aidé de nombreuses personnes à sauter le pas vers une vie dénuée de détritus.
« Basculer dans un autre monde »
De même les blogs sur le mode de vie zéro déchet se multiplient à travers le monde et forment un réseau international. En France aussi, on peut compter sur des stars locales comme la Famille zéro déchet. Partis d’un simple blog qui raconte les aventures de leur famille vers le zéro déchet, Jérémie Pichon et Bénédicte Moret se sont vu proposer d’écrire un livre sur leur expérience. Preuve que le sujet est porteur et se vend désormais. Dans leur livre illustré intitulé Famille (presque) zéro déchet – Ze guide (aux éditions Thierry Souccar), elle dessine et lui écrit. Tous deux avec humour. Le livre veut être un guide d’accès au zéro déchet, pas moralisateur pour un sou, qui utilise la pédagogie par l’exemple : avec des recettes, des défis,...
« On ne s’est pas rendu compte qu’on allait basculer dans un autre monde, reconnaît Jérémie. On a commencé en ramassant les mégots sous les télésièges en fin de saison de ski. Et puis on s’est posé la question de comment ça se fait qu’on sortait une poubelle par semaine. »
Car les portes d’entrée sont multiples : aspect financiers et économies, prendre soin de soi en consommant mieux, réduire son impact écologique… toutes les raisons sont bonnes d’entrer dans la mouvance zéro déchet. « Aujourd’hui, ce ne sont plus uniquement des écologistes convaincus qui y viennent , note Flore Berlingen, directrice de Zero Waste France. Ce sont des personnes qui se disent que notre manière de fonctionner n’est pas logique. Il y a une recherche de simplicité et de bon sens qui n’est pas forcément une logique environnementale. Du coup, le public est beaucoup plus large. »
Avec ce nouvel élan, les groupes locaux se mettent à fleurir. Comme à Nantes où, fin 2014, une vingtaine de personnes commence à se réunir une fois par mois pour échanger sur le compostage, les couches lavables… La communauté a grandi et ils sont aujourd’hui près de 1.300 à suivre le groupe Facebook. L’évolution est rapide et les mentalités changent, se réjouit Johanna Le Mau : « Il y a un an, même 6 mois, on nous regardait bizarrement. Maintenant, il n’y a pas photo, quand je tends mes sacs en tissu, on me dit qu’ils sont jolis et que tout le monde devrait faire comme moi. »
« Entre l’annonce et la mise en œuvre, il y a loin »
Mais ces citoyens engagés décident d’aller plus loin en créant le Collectif zéro déchet Nantes. Un groupe de professionnels dont l’objectif est de montrer à la ville qu’il est possible de mettre en place des politiques zéro déchet. Les sujets de travail ne manquent pas : fiscalité, taxe incitative, freins existants, enquête auprès des producteurs. En attendant que la mairie emboite le pas : « Il y a une vraie dynamique qui se crée à Nantes, on espère que d’ici fin 2016, on avance ensemble », conclut Johanna, dont le magasin en vrac vient tout juste d’ouvrir ses portes.
Même à Paris, connue pour être à la traine en matière de tri, les choses semblent se décanter peu à peu. La COP21 est passée par là, et en décembre 2015, la maire de Paris, Anne Hidalgo, a décidé de lancer un projet pilote pour étendre la collecte des déchets fermentescibles à l’ensemble des ménages. Avec les 2e et 12e arrondissements de la ville comme poissons-pilotes. Pour Jacques Boutault, maire (EELV) du 2e arrondissement, « c’est l’aboutissement d’un travail politique ». La petite mairie avait en effet déjà pris les devants en termes de lutte contre le gaspillage alimentaire, avec la mise en œuvre dès janvier 2015 d’une collecte des déchets organiques dans tous les restaurants scolaires relevant de sa compétence. Près de 40 tonnes d’épluchures et de restes de repas ont ainsi évité l’incinération et ont été apportées dans une usine de méthanisation par un prestataire privé. « Aujourd’hui, cela ça nous coûte de l’argent pour les collecter, entre 12.000 et 15.000 euros. C’est un investissement important au titre de l’intérêt général écologique. Nous sommes obligés d’amorcer la pompe et de travailler à perte, car la filière n’existe pas. »
Ce qui pose problème pour la collecte chez les particuliers également, car le Syctom, l’agence métropolitaine des déchets ménagers, ne peut pas garantir aujourd’hui où vont aller ces déchets. Initialement prévu pour fin 2016, le projet pilote devrait être mis en place au premier trimestre 2017. La cause du retard ? Les réglementations européennes qui sont distinctes pour les déchets organiques issus des restaurants d’une part et des ménages de l’autre. « Kafkaien ! » se lamente Jacques Boutault. « La volonté politique est là, mais entre l’effet d’annonce et la mise en œuvre, il y a là loin de la coupe aux lèvres. »
« Ils n’ont pas subi le changement »
Mais les obstacles administratifs peuvent parfois aussi être contournés.
À Roubaix, la commune de 96.000 habitants est devenue chef de file en matière de réduction des déchets en France. Et ses succès ont apporté une reconnaissance (inter)nationale à la ville du Nord. Pourtant, la gestion des déchets n’est pas une compétence de la municipalité mais bien de la métropole européenne de Lille.
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« Soupe maison, ou l’art d’accommoder les repas », un spectacle promu par la mairie du 2e arrondissement parisien au festival Zero Waste.
Profitant, fin 2014, de l’appel à projet Territoires zéro gaspillage, zéro déchet du ministère de l’Écologie (devenu aujourd’hui de l’Environnement), l’équipe municipale a pu bénéficier d’un soutien financier de trois ans pour mettre en place une « démarche exemplaire et participative de réduction, réutilisation et recyclage de leurs déchets ».
Le projet phare (et le plus médiatisé) du Défi zéro déchet mis en route par la ville vise d’abord les familles roubaisiennes. C’est ainsi qu’une centaine d’entre elles s’est engagée, sur la base du volontariat, à limiter le poids de sa poubelle.
« On avait une idée précise de ce qu’on voulait faire, précise Sandrine Varlet, chargée de mission au développement durable, travailler avec les familles pendant un an, leur proposer des ateliers pratiques, des déjeuners d’échange, des sorties au centre de tri... L’important était de dynamiser l’année, de créer un rythme. »
Un an après, les résultats sont au rendez-vous : 70 % des familles ont réduit leurs déchets résiduels de plus de 40 % et 25 % de plus de 80 %. Un résultat d’autant plus surprenant que « certains disent qu’ils n’ont pas changé leurs habitudes. Sauf que si… mais ils n’ont pas subit le changement. » Des familles qui, sans le savoir, sont devenues les nouveaux Z’héros du déchet d’un mouvement qui compte de plus en plus d’adeptes à travers la France.
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Source : Marc Sautelet pour Reporterre
Photos : © Marc Sautelet/Reporterre