LE MONDE | 19.06.2013 à 15h12 • Mis à jour le 19.06.2013 à 15h16 | Par Gilles van Kote
Capannori (Italie), envoyé spécial.
C’est si étonnant qu’on peine à y croire. L’Italie – celle de Naples et de sa région, où l’état d’urgence avait été proclamé en 2008 pour évacuer les milliers de tonnes d’ordures accumulées dans les rues – montre désormais le chemin dans la gestion des poubelles. La commune toscane de Capannori (46 000 habitants) près de Pise, première ville d’Europe à s’être fixée un objectif de production de zéro déchet d’ici à 2020, fait aujourd’hui référence.
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Capannori a toujours vécu dans l’ombre de la cité libre de Lucques. Ses collines plantées de vignes et d’oliviers abritent de somptueuses villas que s’y sont fait construire, depuis la Renaissance, les grandes familles de la région. Mais Capannori a trouvé un terrain sur lequel elle supplante désormais sa prestigieuse voisine : la propreté de ses rues. Il suffit de s’aventurer dans certains quartiers de Lucques pour juger de la différence : là, des monceaux de sacs poubelle s’amoncellent sur les bas-côtés, autour de bacs à ordures pleins à ras bord. A Capannori, ces scènes ne sont plus de mise. "Ce qui nous rend le plus fiers, c’est de ne plus avoir ces affreux conteneurs qui débordaient le long des routes", assure Ester Cerri, propriétaire du restaurant Forino.
"La grande révolution a été la mise en place de la collecte des ordures par porte à porte", explique Alessandro Bianchi, qui travaille depuis vingt-cinq ans pour Ascit, la société paramunicipale de gestion des déchets ménagers. Les habitants n’ont plus besoin d’apporter eux-mêmes leurs sacs d’ordures jusqu’à des points de ramassage : désormais, les camions et bennes d’Ascit viennent les chercher devant leur domicile.
L’ITALIE, MAUVAISE ÉLÈVE DE L’EUROPE
Sous la pression de quelques militants locaux emmenés par l’instituteur Rossano Ercolini, qui a reçu, en avril 2013, le Goldman Prize – le "Nobel de l’environnement" – pour son action en faveur de la réduction des déchets ménagers, le maire de Capannori, Giorgio Del Ghingaro, a décidé de faire de sa commune un exemple. Une gageure. Car l’Italie n’est vraiment pas une bonne élève en Europe, contrairement à l’Autriche et l’Allemagne, qui ont recyclé, en 2011, 62 % de leurs déchets municipaux. L’Italie, avec 34 %, est en dessous de la moyenne européenne (40 %). Qui plus est, le pays souffre d’un mal tout particulier : l’emprise de la Camorra, la mafia napolitaine, qui a infiltré le marché rémunérateur de la gestion des déchets.
Née dans les années 1980 en Californie grâce aux travaux d’un chimiste américain, Paul Connett, la stratégie "zéro déchet" a longtemps été cantonnée à quelques villes anglo-saxonnes. Basée sur la baisse de la production de déchets en privilégiant la réduction à la source, l’écoconception, le réemploi et le recyclage, elle vit aujourd’hui une nouvelle jeunesse.
Dans le centre de Capannori, les déchets sont triés avant d’être recyclés.
A Capannori, les 46 000 habitants trient leurs déchets à la source selon cinq flux : papiers et cartons ; plastiques et métaux ; verre ; déchets organiques et ordures résiduelles. Aujourd’hui, celles-ci ne représentent plus que 18 % du poids total, contre 65 % avant la mise en place du système. Les déchets sont envoyés vers des installations de recyclage ou de compostage. Les ordures résiduelles prennent la direction d’une décharge située près de Livourne.
"Mon rôle est d’étudier ces déchets-là et de voir comment en réduire davantage la proportion, explique Rossano Ercolini. Nous n’arriverons peut-être jamais vraiment à zéro déchet, mais l’important - pour des raisons sanitaires, environnementales mais aussi économiques - est de s’en rapprocher autant que possible."
Selon le président de "Zero Waste Europe", 80 % du contenu des sacs d’ordures résiduelles ne devraient pas s’y trouver, car pouvant être réparé, réemployé ou recyclé. "Le solde appartient à la famille de la mauvaise conception, pour laquelle c’est aux producteurs de trouver des solutions", dit-il.
"NAPLES PEUT ÊTRE UNE CHANCE... OU UN DÉSASTRE"
Rossano Ercolini s’est attelé à la tâche en commençant par deux produits symboliques : les couches et les capsules de café. Pour les premières, la municipalité de Capannori fournit gratuitement aux jeunes parents des couches lavables pendant une année. Mais peu de familles ont abandonné les couches jetables. "Nous travaillons aussi sur la manière de rendre compostables les couches", assure l’instituteur.
Pour les secondes, il a contacté il y a deux ans des marques italiennes de café comme Lavazza ou Illy afin d’améliorer le recyclage des capsules qu’elles commercialisent – il s’en consomme un milliard chaque année en Italie. L’idée serait de mettre au point des capsules rechargeables ou dont on puisse séparer l’enveloppe et le contenu biodégradable pour les recycler séparément.
A Capannori, dans le centre de collecte et de tri des déchets.
Avec Capannori, l’Italie devient l’une des places fortes de la stratégie "zéro déchet". "La gravité de la situation à Naples a créé un électrochoc", reconnaît Enzo Favoino.
Naples fait ainsi partie des 125 villes transalpines qui ont rejoint Capannori au sein du réseau Rifiuti Zero (zéro déchet). Alors que la collecte par porte-à-porte y est encore balbutiante, la commune s’est engagée à atteindre 75 % de séparation à la source des ordures ménagères en 2015, à créer un centre de réemploi et de réparation, ainsi qu’à mettre en place une redevance incitative afin d’encourager les meilleurs trieurs.
"Quand on a inscrit Naples sur la liste, on savait que ce serait un défi long et difficile à relever, déclare Rossano Ercolini, qui se rend dans la ville une fois par mois pour y superviser la mise en place du dispositif. Pour nous, Naples peut être une chance... ou un désastre." La commune s’est engagée à étendre la collecte par porte-à-porte à la moitié de sa population au plus tard d’ici à fin juin, sans quoi elle risque d’être radiée du réseau Rifiuti Zero.